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de la chute
... à l'objet 2012

Article paru dans IFmag N#5 en mai 2012

Je croyais tomber parterre. J’aurais crié « Faute à Voltaire ! » Une dégringolade de plus et je serais maître dans l’art de la chute.
Or je côtoie plus les parterres sans fleur que je ne récolte les dollars de ma chute. Comme on dit, l’argent s’envole plus qu’il ne tombe. Étrange ce croisement sans rencontre. Je dégringole, il monte inexorablement. Nos deux courbes se croisent sans jamais se trouver !

A force de me casser le nez il va falloir me ramasser à la petite cuillère. En tout petits morceaux. Repartir de zéro avec toutes ces chutes de moi ! Parfois ce n’est qu’un choc, c’est pas trop fort, la fissure qui en résulte est résorbable, réparable. Un petit rafistolage, un petit bricolage, permet de se remettre vite sur pieds. Corps blessé, corps meurtris, on suture, on panse, après on pense et on peut se réjouir d’être passé à côté. A côté ? « De la chute. » Celle qui casse, qui fait mal, la fatale ! C’est celle là qui brise en mille morceaux. C’est avec celle-ci qu’on a plus qu’à tout ramasser à la petite cuillère, tenter de se refaire la cerise. Reconstruire quelque chose avec toutes ces chutes de bois ! C’est fou comme nos vies peuvent ressembler à celle des objets. On va finir par croire qu’ils sont vivants, ou peut-être que nous sommes un peu trop inertes. Tout est une question de point de vue, mais on ne peut nier cet étrange lien social, organique même viscéral que nous entretenons avec les choses. Il y a une manière de penser l’objet comme on pense le corps. Il y a une façon de panser l’objet comme on panse le corps.

Notre envie et même notre regard posé ailleurs peuvent confirmer cette incarnation objectile. L’histoire et la tradition africaine anime les choses, les articules dans le temps et l’espaces comme des corps vécus, à l’épreuve de l’usure. Coupables parfois de leurs faiblesses, ils tombent, ils se brisent. On les reprend, on les répare, on leur redonne une âme. On les bricole, on les rafistole, jamais on ne les laisse, rebuts. Jamais on ne les jette parce qu’on en veut plus. Ces objets blessés parlent de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils sont devenus. Il y a dans chacune de ces histoires de vie bien des idées à penser, bien des leçons à prendre. Mais je ne suis pas le seul à m’en rendre compte, et d’autres l’on déjà fait. Qu’ils soient créatifs et pleins d’idées, ou industriels soucieux de faire des économies. Et oui la chute redonne forme ! Chez la designer Amy HUNTING la ‘patchwork collection’ est un nouveau départ pour ces bout de bois. On les aurait oubliés comme les chutes des découpeuses industrielles mais l’artiste les a magnifiés. Chez le célèbre fabricant d’ordinateurs à la pomme, on ne manque pas de rappeler que les claviers sont fabriqués dans l’aluminium récupéré pendant le façonnage des écrans. Des optimisations de fabrication pour ne pas en perdre une miette !
La chute n’est plus désespérée, elle est pleine de ressources inattendues, et inépuisables. Chaque fois, prêtes à recommencer, à se remodeler. Il est temps d’en accepter les conséquences, d’en observer les qualités. Dans le cycle de l’objet comme peut-être dans le cycle de la vie, aujourd’hui comme demain, plus belle sera la chute à ceux pour qui ou pour quoi ! On offre un nouveau destin.

images IFmag #5 : Aude Fournié, Nolwen Durand, printemps 2012

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