Ah ! Ce monde de la transparence ou l’on fuit l’opacité, où tout est visible et ne sera plus jamais invisible. Il faut dire ce que l’on est, ce que l’on fait. Jamais caché, mais toujours discret, jouer de cette fausse humilité, stérile, faire disparaître les signes, effacer les traces.
Quelles histoires auront nous à raconter ? Quelles seront ces choses qui dépassent, ces indices éparses de notre existence, ceux qui enchantent nos vies et déchantent aussi ! Ceux qui sont les acteurs de notre quotidien, et deviennent les initiateurs obscurs de nos devenirs. Il n’y a plus de corps, complexes, il n’y a plus de structures implicites, où est passée la forme cachée des choses ? Tout se voit et tout doit-être vu, tout se dit et tout doit-être su. Malheur aux prétendants qui n’auraient pu afficher pâte blanche ou prouver leur innocence ! C’est l’ordre politique, l’ordre des choses, plus rien n’existe tortueux, tout doit-être et demeurera immaculé, pur, imperturbable, stable, inerte…
Il faut croire que l’on se méfie du vide et que le meilleur moyen d’y échapper reste encore de le devancer. Plus vite apprivoisé et plus vite oublié. C’est le vide par profusion, foisonnement du tout et de son contraire, le « temps-danse » sur une réalité sans idée, une actualité sans virtualité. « Un vide plein » qui regorge d’informations de surfaces, sans fond, d’activités répétitives, mécaniques, de faux mouvements. L’illusion d’une complexité maîtrisée qui n’est en fait qu’un grand manque d’idée.
Dans un repli organique désespéré, on tente de se raccrocher, de trouver du sens. Tout ce qu’on nous offre, c’est du vide, de la morale et des images prémâchées ! Du conformisme pour nous rassurer et pour oublier ne serait-ce qu’un instant et pourquoi pas plus longtemps cette réalité. C’est du désengagement. A force de vider nos espaces de vie, de purifier nos environnements on prend le risque de perdre le goût des choses et même des choses simples. On se retrouve impuissant face à ce mur de la transparence. On perd le bonheur d’être là, ici et maintenant, simplement parce que ça n’a plus de sens, parce qu’on nous le fait savoir en nous imposant le toujours mieux ailleurs. Il n’y a plus de prise. Ces espaces diffus nous incitent à faire de nos vies et de nos corps des images, qui jamais ne nous permettrons de durer, sinon pour quelques exceptions sous la forme d’images persistantes, comme ces icônes auréolées.
On détruit nos « savoir-faire » parce qu’il nous suffit de « faire-savoir ». On perd la matière à raconter, on perd la mémoire. Si créer c’est résister, alors résister au vide de la transparence c’est créer de l’ambigüité, s’immiscer, offrir et provoquer des brèches, laisser et refuser l’imposé. C’est imaginer et partager, autoriser le flou, remettre du cœur à l’ouvrage, du rire dans nos vies, du vivant dans notre réalité. Il s’agit bien de répondre à une question : sommes-nous encore capable de transformer ce réel ? Sommes-nous encore capable de ré-enchanter nos vies ? Puisqu’il faut vivre avec son temps, rien ne nous empêche de tenter le détournement. Pour s’amuser un peu et puis pourquoi pas à chaque instant ! Cela nous permettra de reprendre les choses en main, de saisir un peu mieux notre quotidien. Cela peut paraître dérisoire, mais tout est une question de point de vue. Il ne nous manque que des endroits pour le vivre, des objets pour le réaliser.
Au détour d’une biennale Stéphanoise, et au cœur d’une œuvre elle-même, l’exposition ‘Vous voulez rire’ de Benjamin Girard nous redonne le goût des choses. Enfin, on prend le temps. On prend le temps de se poser des questions sur nos vies, tout en s’amusant ! Installés pour l’occasion dans les dédales monolithiques de l’église Le Corbusier à Firminy, des objets nous donnent envie. Une belle envie de raconter des histoires, drôles, bizarres… mais des histoires !
images IFmag #6 : Aude Fournié, Nolwen Durand, printemps 2013
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